Tel la villa romaine, le château est censé se suffire à lui-même. Autour de la résidence du châtelain il y a tout ce qui sert pour vivre, plus ou moins confortablement selon le rang du seigneur des lieux, la situation politique et d’autres facteurs. On y vit de ce que la terre produit, selon le rythme des saisons. Quoi que l’on puisse en penser, la vie de château n’est pas (et n’a jamais été) la vie de rêve que racontent les romans. Charles d’Orléans (1394-1465) par exemple, le grand poète du quinzième siècle qui fut petit-fils, neveu et père de rois, avait dû un hiver limiter son «shopping» à une paire de mitaines tellement les récoltes avaient été mauvaises et les charges dont il devait s’aquitter élevées.
Ce que les champs produisent en été, ainsi que les viandes séchées et fumées des animaux qui ne s’abattent qu’à certains moments de l’année, il faut le stocker proprement et le gérer judicieusement, car il doit durer jusqu’à la récolte suivante. Les garde-manger sont donc fermés à clé, et la clé est confiée à un intendant ou à la maitresse de maison qui les porte toujours sur soi, attachées à une chaînette accrochée à la ceinture: la châtelaine (par la suite le nom définira un long collier auquel les dames suspendront tout ce qui ne doit pas être égaré: clés, montre, lunettes…).
Rien ne doit être gaspillé: ni l’eau, ni la nourriture, ni les vêtements, ni le linge, ni les objets – et cela dure jusqu’à la naissance de notre société de consommation qui sonne le glas des bonnes habitudes d’antan.
S’ensuit presque un siècle d’insouciance consommatrice et de gaspillage indiscriminé des ressources de la Terre. Seul quelques irréductibles résistent. Pourtant, depuis quelques années leur nombre ne fait qu’augmenter.
Qu’est-ce qui pousse les consommateurs d’aujourd’hui à reprendre des habitudes longtemps oubliées?
Pour certains, c’est une question éthique; pour d’autres une nécessité économique. Quoi qu’il en soit on assiste à une augmentation du fait-maison et on commence même à revoir des ateliers de réparation d’objets qui semblaient destinés à disparaître. Les Américains, ceux-là mêmes qui ont inventé la société de consommation et l’ouvre-boîte électrique, se hasardent de plus en plus à suggérer de faire sécher son linge sur fil plutôt qu’à la machine…
Sur internet les informations concernant la vie «zéro déchets» ou le fait-maison foisonnent désormais, et c’est un bien même s’il semble parfois difficile de les appliquer dans la vie de tous les jours tellement on est persuadé(e)s que le temps et l’effort investis seraient excessifs. En réalité les progrès faits depuis l’invention de la gazinière nous permettent de faire beaucoup de choses sans pour autant nous sentir pris dans un carcan. Un bon robot, une boîte à couture, une boîte à outils, quelques compétences indispensables, un peu d’organisation et surtout un peu de bon sens font des miracles.
Prenons par exemple le pain : depuis quelques années – est-ce le raz-le-bol des pains caoutchouteux que les grands magasins nous vendent emballés dans du plastique pollueur, est-ce l’envie d’oublier la technologie et de se défouler en mettant la main à la pâte (au sens propre) – le nombre de ceux qui le font chez eux, régulièrement ou de temps en temps, augmente, ce qui est très bien. Mais qu’il soit maison ou que l’on l’achète, il en reste presque toujours un peu dont on ne sait pas que faire.
Que fait-on donc au château du pain rassis ?
Eh bien – beaucoup de choses.
D’abord, on le prive de la croûte (de préférence) et on l’étale sur une grille ou une planche pour qu’il sèche bien; ensuite on le met au garde-manger dans un sac en papier ou en tissu (au château on en fait avec de vieux draps, de vieilles nappes ou des chutes de tissu – on verra ça plus tard).
On obtient ainsi l’élément de base du premier de nos «menus déroulants en cascade».
Dès qu’on a un peu de temps, on commence par préparer de la chapelure.
Pour cela – les temps ayant évolué depuis qu’on était obligé de se détruire les bouts des doigts sur une râpe en fer – on prend son robot de cuisine avec le bol mixeur et une râpe fine, celle que les anglais appellent le zester : en deux temps, trois mouvements le bol se remplit de chapelure.
Maintenant, si la cuisinière vise la perfection, elle prend un chinois ou un tamis, sépare la chapelure fine de la plus grosse et en remplit deux bocaux en verre bien propres. Elle prend ensuite du ruban de masquage (celui qu’utilisent les peintres en bâtiments, oui! Il se décolle très facilement, à la différence des jolies étiquettes impossibles à détacher – c’est pour ça que les chefs l’adorent lorsqu’il s’agit d’identifier un contenu qui changera demain), en colle un morceau de quelques centimètres sur le bocal et y inscrit ce qu’il contient (chapelure fine ou grosse) et la date.
Les bocaux et le sac, s’il y reste du pain, vont à leur place au garde manger.
Voilà, c’est terminé. Un de ces jours on en fera quelque chose. Soyez patients…