Il arrive à tout le monde de sortir tard du travail et de ne pas avoir envie de cuisiner. Le restaurant n’est pas toujours une option. Mais pas de mal! Il suffit de passer chez le traiteur et le problème est résolu. Nous voilà à la maison avec un bol de salade et des lasagnes pour deux (à moins d’avoir cédé à l’envie de sushi ou de couscous) et pour ce soir aussi le dîner est assuré.
Bien que le plat préparé par le traiteur ou par la grande industrie alimentaire soit rarement à la hauteut de nos attentes, il reste une solution de facilité pour les soirs où l’on manque de courage, d’envie, et où il nous reste juste le temps de passer au petit supermarché du quartier. Mais comment faisaient donc nos ancêtres, qui devaient se contenter de ce qu’ils avaient dans leur garde-manger?
Un peu d’histoire
Ils ne faut pas croire qu’ils – ou plus souvent elles – avaient à disposition beaucoup plus de temps que nous. Dès châtelains aux travailleurs agricoles, la journée commençait tôt et se terminait souvent tard. Sans machines, sans appareils ménagers, sans produits industriels, le travail était dur et chronophage et exigeait des repas nourrissants qui devaient nécessairement suivre le rythme des saisons et être rapides autant que possible, les longues préparations étant réservées aux dimanches et aux fêtes, ou aux grand seigneurs qui pouvaient se permettre du personnel de cuisine.
C’est là que naît l’ancêtre du convenience food, c’est à dire des plats préparés ou semi-préparés qui aident à réduire au minimum le temps nécessaire pour servir le repas. Celui qui a eu l’idée de transformer un produit pour faciliter la préparation du dîner ou le consommer tel quel n’est pas connu et se perd dans la nuit des temps. Le premier de ces aliments est probablement le pain, qu’il suffit de frotter avec une gousse d’ail et assaisonner avec un filet d’huile pour en faire une collation à manger dans les champs, mais qui sert aussi à épaissir des soupes. Viendront ensuite les fromages, les conserves de légumes qu’on sert telles quelles, et tout ce qui peut être recuit et transformé plusieurs jours de suite et y gagne même en saveur, comme la soupe ribollita toscane ou le cassoulet,
Dans les foires où l’on achète les denrées essentielles qu’on ne produit pas soi-même des marchands se mettent un jour à vendre des beignets ou d’autres préparations qu’on peut déguster sur place ou emporter chez soi et qui permettent de varier un régime souvent assez monotone, d’entrer en contact avec des aliments inconnus, d’apprendre à traiter différemment les produits du terroir. Les artisans nés de la concentration des habitations comme les boulangers ou les bouchers – jusqu’au XIX siècle les particuliers n’ont pas de de four en ville et ont à peine la possibilité d’élever quelques poules – commencent à vendre des tartes, des tourtes et des viandes rôties qui etaient jusqu’alors préparées à la maison: le convenience food est né.

Ces préparations restent pourtant au stade artisanal jusqu’à la fin du XVIII siècle et doivent de surplus être consommées rapidement car les techniques de conservation sont encore rudimentaires. Ce sera le Français Nicolas Appert qui constatera qu’il est possible de conserver des aliments dans des bocaux en verre qu’on peut stériliser. Au Pays-Bas sont nées quelques années auparavant de petites entreprises qui produisent du poisson séché, fumé et conservé dans de l’huile ou du beurre. Les techniques modernes de conservation des aliments – pasteurisation, réfrigération, surgélation et autres – ont transformé les artisans d’antan en industries qui nous proposent aujourd’hui depuis le cassoulet jusqu’aux boulettes suédoises en passant par le pad-thaï ou la moambe. Nous pouvons remplir notre congélateur de pies ou de poissons en sauce, stocker des mélanges pour gâteaux au chocolat ou crêpes dans nos placards ou acheter des salades préparées et prêtes à manger et même des oeufs durs déjà écalés. L’USDA, le département de l’agriculture des Etats-Unis, et la FDA qui s’occupe de la sécurité alimentaire ont constaté qu’aux Etats-Unis le nombre de familles où l’on cuisine (et où l’on consomme ses repas ensemble) est en chute constante et considèrent maintenant qu’on peut parler de « cuisine » même si on se limite à ouvrir un sachet de salade et à y ajouter quelques garnitures.
Il y a quelques années un Américain de mes connaissances, rentré au pays pour les congés, racontait s’être trouvé à la caisse d’un supermarché derrière une femme dont le chariot regorgeait de plats préparés surgelés. Voyant qu’elle payait avec des coupons en se plaignant de la vie chère et des problèmes qu’elle avait en tant que chômeuse pour joindre les deux bouts, il lui avait suggéré d’acheter plutôt des matières premières et de le cuire. Elle lui avait répondu que c’était impossible, n’ayant pas de cuisine mais juste un combiné frigo et un four à micro-ondes.
On peut se demander comment faisait-on au siècle dernier, ou même avant, lorsque les supermarchés et les sociétés agroalimentaires multinationales n’existaient pas encore. Il est facile de penser que nos grand-mères pouvaient passer beaucoup de temps à la cuisine puisqu’elles ne travaillaient pas, ce qui nous fait pousser soupir de soulagement et de gratitude pour ceux qui ont inventé le congélateur ou la boîte en fer-blanc. Pourtant…
Elles ne travaillaient pas? Vraiment?
Tout d’abord, détrompons-nous: nos ancêtres travaillaient comme nous, voire plus. Sans aspirateur, sans frigo, sans mixer ni vente en ligne, nos aïeules maintenaient pourtant bien leurs maison qu’elles géraient d’une main de fer. Dans les milieux aisés l’exécution pratique était déléguée au personnel qui devait néanmoins être embauché, organisé, nourri, logé, payé comme des employés d’une entreprise dont la maitresse de maison était le PDG.
Comment faisaient-elles pour mener à bien leur tâche?
Facile: elles apprenaient l’organisation depuis leur plus jeune âge.
Les jeunes filles apprenaient à réduire le temps investi dans les travaux du ménage en les groupant et en créant des synergies. En milieu rural l’entraide entre générations ou entre voisins était et est toujours essentielle, qu’il s’agisse de réparer un toit ou de conserver la production du potager.
L’organisation (et les appareils modernes) nous permet aujourd’hui de préparer plus facilement une réserve de nourriture prête ou semi-prête dont le prix – à qualité égale ou supérieure – est bien inférieur à celui du commerce. Nos meilleurs alliés sont le frigo, le congélateur et le four traditionnel (ou à micro-ondes si on a oublié de sortir les lasagnes congelées à temps).

Convenience food … à la mode du château
Une des techniques les plus efficaces consiste à faire des plats en grande quantité: en investissant à peine quelques minutes en plus, au lieu de préparer la blanquette pour deux on la prépare por six ou huit et on fait de même poir le minestrone, le jambalaya, le curry de pois chiches ou la tarte aux pommes. Placé dans des contenants d’une ou deux portions pouvant passer du congélateur au four, le surplus se conserve plusieurs mois et se réchauffe en deux temps trois mouvements. En cuisant huit ou dix oeufs dur on peut en utiliser deux pour garnir une salade et garder les autres au frigo pendant une bonne semaine: écrasés et mélangés à un peu de moutarde, de jus de citron, d’huile et de persil, deux serviront d’assaisonnement pour un chou-fleur cuit; d’autres seront farcis ou mangés en tartine avec un peu de mayonnaise, un filet d’anchois, une olive, un demi-radis…
De la même manière on peut congeler les légumes de saison. Il est vrai que le nettoyage des haricots n’est pas l’activité dont on rêve pour un dimanche matin, mais pourquoi ne pas en profiter pour organiser une réunions entre ami(e)s commençant par une ballade au marché, où tout le monde rentre avec sa réserve de légumes ébouillantés (voire cuits), ensachés et prêts à être congelés… ou mangés?
La conservation en bocal est aussi très utile et se prête particulièrement bien pour les préparations à base de légumes: jardinières, ratatouilles, poivrons farcis passent directement du placard à la table. Elle est plus délicate pour les viandes et les poissons qui demandent une stérilisation à plus haute température qu’on ne peut obtenir à la maison qu’avec des stérilisateurs à pression.
Moins de graisses, moins de sel, pas de conservants, la qualité qu’on désire et la même facilité d’usage à un coût plus bas: que demander de plus?
