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Terrils

Aberfan

Le 21 Octobre 1966 Aberfan, une petite ville charbonnière du Pays de Galles, commence sa journée comme d’habitude: les mineurs s’apprêtent à descendre dans les puits, les commerçants ouvrent leurs échoppes, les enfants se dirigent vers l’école pour la dernière demi-journée de cours avant les vacances d’automne. Il fait mauvais, une forte pluie frappe le pays depuis trois semaines. Soudain, le sommet du terril n° 7 s’effondre et 110.000 m3 de résidus miniers se déversent sur le village, engloutissant deux fermes au passage; 38.000 m3 ensevelissent l’école: il y aura 144 morts, dont 116 enfants.

Le terril n° 7 d'Aberfam après la catastrophe
Village et terril d’Aberfam après l’éboulement du 21 Octobre 1966

Comment cette catastrophe, dont on parle aussi dans la première saison de l’excellente série “The Crown”, a-t-elle pu se produire? Aurait-il été possible de l’éviter?

La réponse est: peut-être oui, si on avait respecté les procédures imposées par le propriétaire de la mine lui-même, le National Coal Board, qui gérait les activités minières nationalisées au Royaume-Uni.

Il était effet fortement déconseillé d’ériger un terril sur un terrain riche en sources comme l’était en partie celui du terril n° 7. Mais des raisons de coût avaient fait fi des bonnes procédures et réduit au silence la conscience des décideurs.

C’est quoi, un terril?

Pour bien comprendre il faut savoir ce qu’est un terril : pour beaucoup, ce n’est qu’un nom attribué à une sorte de colline en général conique dont on sait vaguement qu’elle fait partie du paysage minier. La réalité est un peu plus complexe.

Paysage minier
Paysage minier

La mine, d’abord

Tout d’abord il est nécessaire de comprendre comment fonctionne une mine, c’est-à-dire un gisement exploité de matériaux, notamment de charbon. Si le gisement est peu profond et horizontal, l’extraction se fait à ciel ouvert (comme dans une carrière, qui ne diffère de ce genre de mine que par la nature du matériau extrait), mais s’il est en profondeur comme c’est le cas pour le charbon on doit creuser des puits et des galeries avant même d’obtenir le premier morceau.

Comme le sol est riche en eau, des pompes sont installées pour permettre de l’évacuer en surface et empêcher qu’elle envahisse les galeries où le mineurs travaillent. Il faut aussi se débarrasser des matériaux extraits pour creuser. Après l’extraction proprement dite les couches de charbon, mélangées ou non à la roche et à la terre, remplissent des chariots qui sont ensuite montées à la surface.

Travail de fond, travail de surface

Tout le monde connaît le travail qu’on fait au fond et les dangers liés aux effondrements, au grisou, aux coups de poussier, aux inondation – peu connaissent par contre ce qui se passe en surface.

La remontée du matériel extrait: la cage amène les skips dans le corridor où s'effectue la sélection: le charbon va à gauche, les pierres et le reste à droite
La remontée du matériel extrait: la cage amène les skips dans le corridor où s’effectue la sélection: le charbon va à gauche, les pierres et le reste à droite

Le matériau extrait, chargé sur un chariot (la berline, ou skip) arrive en surface dans une cage et est remonté jusqu’en haut d’une sorte de pont couvert où courent des rails. Là, où un ouvrier l’attend : son job, c’est de séparer les chargements de charbon de ceux de pierre et autres résidus. Le charbon est acheminé vers les opérations qui le rendront apte à la vente comme le lavage et le calibrage. Le reste est envoyé dans une autre direction, vers une culbuteuse qui le fera tomber dans des wagonnets qui, tirés par un câble, le remonteront jusqu’en haut d’un monticule qui, de chariot en chariot, deviendra cette chose si caractéristique des paysages des bassins huiliers du nord : le terril.

Wagonnets chargés de pierres à mettre au terril
Les wagonnets – ou skips – qui amènent au terril ce qui n’est pas du charbon

A quoi ça ressemble, un terril?

Dans le cas décrit il s’agît d’un terril conique, où le déversement se fait par le sommet. Il est caractéristique de la première moitié du XX siècle et a remplacé en grande partie les terrils plats, formés par des déversements sur une plus grande surface, avec des moyens moins avancés, et qui sont difficiles à reconnaître d’une quelconque colline. Les terrils dits « modernes », quant à eux, ne sont qu’une évolution du terril conique, nés avec les grandes infrastructures de l’après-guerre, à savoir, des massifs formés de plusieurs cônes.

Avantages

Ces collines artificielles, dont le nom est tiré très probablement du mot wallon « terri », ou « téré », peuvent être stériles (par exemple, dans le cas du terril d’antimoine à Ouche, dans le Cantal) ou offrir une très grande richesse de végétation qui s’est développée après la fermeture des mines. Certains sont couverts d’arbres fruitiers poussés des graines et noyaux des fruits que les mineurs emportaient avec eux au fond de la mine et dont ils jetaient les restes dans les chariots, ou d’oseille dont les graines se cachaient dans le bois de sapin utilisé dans les galeries. Sur d’autres, comme à Blégny près de Liège, des samares de bouleau emportées par le vent ont colonisé le monticule et permis de consolider le terrain, le préparant à d’autres espèces autochtones, comme le noyer, l’érable, le frêne, le noisetier, le sureau noir ou l’aubépine, ou allochtones comme le robinier-faux acacia, le buddleia ou le cerisier tardif.

… et désavantages

Ils posent aussi, parfois, de véritables problèmes écologiques, comme dans le cas des « Monte Kali », « Kaliberg » ou « Kalimandjaro » allemands, énormes terrils de sel résultant de l’extraction de la potasse dont l’un, de 250m de haut, se trouve à Philippsthal; ils sont composés essentiellement de chlorure de sodium et de métaux lourdsqui, délavés par les eaux de pluie, provoquent une salinisation importante de la nappe phréatique.

Terril de sel, ou "Monte Kali"
Terril de sel, ou « Monte Kali »

Si la mine est active, donc, le terril est très instable et doit être surveillé de près pour éviter des éboulements. Dans le cas d’Aberfam, c’est le mauvais temps qui a donné le coup de grâce à une situation déjà compromise (une coulée de débris s’était produite à peine quelques années auparavant et avait à peine épargné le village, s’arrêtant à 150 m des premières maisons) : la nuit précédente un petit éboulement provoqué par la pluie avait créé une espèce de cratère qui s’était rempli d’eau, augmentant encore la pression.

Aujourd’hui

Aujourd’hui tous les charbonnages européens ont fermé (il en va différemment pour les mines de fer, cuivre, zinc, nickel, chrome, argent, or), mais les terrils, souvent visitables, font encore partie du paysage allemand, belge et français, où leur silhouette triangulaire tranche sur l’horizon plat.

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Carnavals et oranges

Le Carnaval de Binche: légende ou histoire?

En 1549 l’empereur Charles V envisage de léguer à son fils Philippe ses terres des Pays-Bas d’Autriche. A la différence de son père, le jeune prince est né et à grandi en Espagne, ne s’aventurant hors de ses frontières qu’un an auparavant, pour se rendre à Milan dont Charles l’a nommé duc. Il se rend ensuite dans les XVII Provinces, les terres de son arrière-grand-mère Marie de Bourgogne où son père et ses oncle et tantes ont été élevés par Marguerite, sœur de son grand-père Maximilien de Habsbourg.

Marie de Habsbourg reine de Hongrie

Charles V sait qu’il ne sera pas facile de faire accepter aux Flamands son héritier qu’ils ne connaissent pas et qui ne parle pas bien leur langue. Il l’accompagne donc à Bruxelles et demande à sa sœur Marie de Hongrie de mettre au point une stratégie pour le faire accepter.

Marie de Habsbourg, reine de Hongrie par son bref mariage avec Louis Jagellon, est, selon son frère, une femme fière, d’esprit vif, directe et exubérante. Ses contemporains apprécient son intelligence politique et militaire, son goût des arts et des capacités diplomatiques. Bien que fervente catholique, elle pratique la tolérance, à tel point qu’on doit l’obliger de se séparer de sa cour réformiste lorsqu’elle prend la suite de sa grand-tante Marguerite en tant que régente des Pays-Bas.

En cet été 1549 un chevalier errant vient remettre à Charles une invitation à se rendre à Binche – petite ville où Marie a fait construire un château et près de laquelle elle possède un pavillon de chasse – pour la libérer du sort jeté par le magicien Norabroc.

En réalité Marie a organisé des fêtes somptueuses pour présenter son neveu aux notables et aux magistrats de la région: pendant plusieurs jours des tournois, des jeux, des bals masqués se succèdent, tellement magnifiques que de ces Triomphes de Binche donnent origine naît une expression espagnole: “Mas bravas que las fiestas de Bains” – plus magnifiques que les fêtes de Binche.

Trois siècles plus tard un journaliste, voyant défiler les Gilles de Binche avec leurs chapeaux en plumes d’autruche, crée la légende qui veut qu’ils descendent des Incas coiffés de plumes qui auraient défilé à l’occasion de ces Triomphes.

Gilles masqués

Mais qui sont ces Gilles?

Ils apparaissent pour la première fois dans les textes en 1795 en tant que personnage se révoltant contre le régime politique français du Directoire qui voulait interdire le port du masque. Depuis, ils sont devenus les héros du Carnaval de Binche, classé patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO.

Leur succès immédiat a fait que le personnage du Gille se retrouve dans beaucoup d’autres carnavals de la région et qu’il soit invité à participer à ceux de Bruxelles et d’autres villes. Contrairement à ce qu’on annonce dans ce dernier cas, il ne s’agit jamais des Gilles de Binche, qui ne sortent jamais de l’enceinte de la ville et ne peuvent porter le costume que le jour du mardi-gras.

La petite ville de Binche prend le carnaval très au sérieux et les Gilles n’en sont que l’apogée. Leur sortie est le résultat d’un long travail d’équipe au sein d’une société. Et n’est pas Gille qui veut: le statut est draconien – le Gille doit être originaire de Binche, s’engager à ne pas porter le costume en dehors du mardi-gras ni de l’enceinte de la ville, ne pas s’enivrer, ne jamais s’asseoir et ne se montrer en public qu’accompagné d’un tambour.

Depuis sa première mention le costume des Gilles a évolué: au pantalon et à la blouse d’origine se sont ajoutés les sabots et l’ “apertintaille” (la ceinture à grelots), le masque et le chapeau lui-même. Les couleurs actuelles sont celles du drapeau belge, qui n’existe que depuis 1830. Le panier à salade en fer, qui contenait du pain et des pommes, a été remplacé en 1880 par le panier en osier qu’on voit maintenant, rempli des oranges que le Gille lance à la foule au cours du cortège de l’après-midi.

Gilles portant le chapeau en plumes d'autruche

La journée des Gilles

Mais avant que le cortège ne s’ébranle la journée du millier de Gilles binchois est déjà longue: levé dès 4 heures du matin, il se livre aux mains du rembourreur, chargé de donner au personnage l’apparence bossue que la tradition lui prête en remplissant le costume de paille. On pose ensuite la collerette sur ses épaules et la barrette (bonnet blanc tenu par un mouchoir blanc) sur sa tête, puis il attend la petite fanfare qui accompagne le “ramassage”. Dès que tous les Gilles sont réunis, la tradition veut qu’ils consomment un petit-déjeuner à base d’huîtres et de champagne. Ensuite, après avoir mis le masque de cire qui le rend identique à tous les autres, le Gille se rend sur la Grand-Place pour attendre le début du cortège, à 15 h. Coiffé du chapeau en plumes d’autruche si le temps le permet et muni de son panier rempli d’oranges sanguines (qu’il porte renversé dès qu’il est vide, en attendant qu’on le lui remplisse), il parcourt avec les autres les rues de la ville en lançant des fruits jusqu’à l’heure du dîner; il recommencera à 20 h, cette fois sans chapeau, un dernier tour avant de revenir à la vie de tous les jours.

Et ailleurs?

Les oranges sanguines des Gilles laissent la place aux fruits non comestibles des orangers porte-greffe dans la “bataille des oranges” du Carnaval d’Ivréa, dans l’Italie du nord-ouest.

Il s’agit probablement du plus ancien carnaval d’Italie, car ceux de Venise ou de Viareggio, plus connus, ont subi de longues interruptions ou sont nés beaucoup plus tard.

Carnaval d'Ivrée, bataille d'oranges

Les origines du carnaval d’Ivréa remontent au moins à la Renaissance. Au XVIème siècle les quartiers de la ville se disputaient l’organisation des fêtes les plus réussies, peuplées de personnages qui représentent le contraire de ce qu’ils sont dans la vraie vie: les “Abbà”, habillés en commandant de la milice censés faire respecter l’ordre et la discipline, alors qu’en réalité ils s’agissait probablement de jeunes voyous.

A l’époque napoléonienne les différentes fêtes de quartier sont réunies en une seule, dans un souci de limiter les débordements et de mieux contrôler la foule. Pendant le XIX siècle, alors qu’un peu partout les peuples se rebellent aux tyrans, de nouveaux personnages voient le jour: Violette, la “belle meunière”, enlevée par le seigneur qui veut exercer le droit de cuissage, mais qui réussit à le tuer après avoir feint de céder et l’avoir enivré est présentée à la foule le samedi mais dès le jeudi le Général, chargé de l’organisation et de l’ordre avec ses officiers, le substitut du Grand Chancelier, les porte-drapeaux et les vivandières accompagnent le cortège historique à cheval qui, avec la bataille des oranges, représente l’attraction principale de l’événement.

Comme à Binche, le carnaval ne se limite pas à quelques jours: il débute officiellement le jour des Rois (Épiphanie) et comprend une série d’événements tout le long de sa durée. Bien entendu le clou arrive à la fin: depuis le défilé historique du jeudi gras jusqu’à la mise à feu des “scarli”, ces fûts d’arbre, minces et longs, sorte de mâts de cocagne à l’état brut, que l’on entoure dans toute leur hauteur de bruyères sèches, et qui portent à leur extrémité supérieure une bannière aux couleurs du quartier, qui met officiellement fin au carnaval. L’après-midi du dimanche attire une grande foule qui veut participer à la bataille des oranges (qui est répétée le lundi et le mardi), née probablement pour se moquer du présent que le seigneur offrait à ses sujets une fois par an au Moyen-Age: une corbeille de haricots – et qui était jugé trop insuffisant. Ceux qui ne veulent pas être la cible des tirs (chaque année on soigne des dizaines de blessés, les oranges sont dures…) doivent porter un un bonnet phrygien, béret rouge en forme de chaussette qui représente l’adhésion idéale à la révolte et donc l’aspiration à la liberté.

Carnaval d'Ivréé, lanceurs d'oranges

Pendant plusieurs jours la ville résonne des musiques jouées par la fanfare de tambours et pipeaux et par l’orchestre qui marche en tête du défilé, en exécutant la Chanson du Carnaval et diverses œuvres du XVIII et XIX siècle. Celle-ci annonce aussi la fin du Carnaval, le soir du mardi-gras, après la Marche du Général: “Arvëdse”, au revoir.

Oranges
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Les Saxons de Roumanie et leurs églises fortifiées

Nous sommes au 12ème siècle. L’Europe essaie de se donner un visage définitif et d’atteindre une certaine stabilité politique et économique après des siècles d’invasions barbares. Pour défendre ses frontières des derniers assaillants mongoles et tatares, le jeune roi de Hongrie Géza II offre à ceux que l’administration hongroise enregistrera comme “Saxons” des terres et des privilèges dans le Sud de la Transylvanie.

Ces Saxons de Transylvanie ne viennent pas de Saxe – pas plus que les “Souabes” du Banat ne viennent de Souabe. Leur patrie d’origine n’est pas exactement connue mais se situe probablement entre le Rhin et la Franconie ainsi que dans la région de la Moselle, en Wallonie et en Flandre. Attirés par les avantages que la colonisation leur offre, les premiers Saxons – qui suivent de peu les sicules magyarophones – s’installent au creux des Carpates, dans la plaine du Cibin, où ils fondent la ville de Hermannstadt (Sibiu) qui restera exclusivement allemande jusqu’au milieu du XIXe Siècle. Au cours des siècles suivants d’autres vagues suivront, colonisant une grande partie de la Transylvanie.

Sibiu - un coin de la ville haute
Sibiu/Hermannstadt

“Nos fidèles colons Allemands”, comme les définit l’Andreanum (“litterae libertatis aureae”) du roi André II Arpád en 1224, jouissent entre autres du libre droit de nommer leurs juges et leurs curés, de suivre leurs propres coutumes, appliquent une franchise douanière, organisent librement leurs marchés et foires. En échange ils s’engagent à payer une redevance annuelle au roi et à lui fournir des soldats.

Pour se défendre en cas d’assaut ennemi, ils commencent à fortifier leurs églises. Ces citadelles fortifiées sont aujourd’hui classées au patrimoine mondial de l’UNESCO et attirent chaque année un grand nombre de visiteurs.

Biertan
Biertan/Birthälm, vue de l’église fortifiée

A partir de 1486 l’administration e la justice sont assurées par un organisme central: l’Université Saxonne, qui réunit les sept “Sièges” traditionnels de la Nation: Broos (Orastie), Mühlbach (Sebes), Reussmarkt (Miercurea Sibiului), Leschkirch (Nocrich), Hermannstadt (Sibiu), Schenk (Cincu), Schässburg (Sighisoara) et Reps (Rupea), auxquels s’ajoutent plus tard Mediasch (Medias) et Schelk (Seica Mare) et les districts de Nösnerland (Nasaud) et Burzenland (Barsa). Une grande attention est donnée à l’instruction: les premières écoles naissent au XVe Siècle et en une centaine d’années pratiquement toutes les villes et villages en ont une. Le premier lycée voit le jour en 1541 et deux siècles plus tard l’école devient obligatoire.

Malgré les guerres et les événements politiques, l’indépendance des Saxons de Transylvanie reste acquise jusqu’à la naissance, en 1867, de l’Empire Austro-hongrois qui vide de son importance l’Université Saxonne, laquelle cessera d’exister dans les années 30 du XX siècle, quelques années à peine après l’adhésion de la Transylvanie à la Roumanie à l’issue de la première Guerre Mondiale.

Le Président Klaus Iohannis
Klaus Iohannis, Président de la Roumanie

Dans leur nouvelle patrie roumaine les Saxons de Transylvanie doivent désormais composer avec un État central dans lequel ils ne représentent qu’une petite minorité, et qui prétend d’eux qu’ils apprennent la langue de la majorité, limitant aussi l’accès aux études supérieures par le biais d’un numerus clausus. L’histoire d’amour avec le pays qui les a accueillis huit siècles plus tôt est en train de s’achever, le régime communiste lui donnera le coup de grâce: de plus de 750,000 Allemands de Roumanie avant 1939 seuls 80-90,000 sont encore sur place, équitablement répartis entre Saxons de Transylvanie et Souabes du Banat. Les autres sont “rentrés” en Allemagne, ce qui fait dire aux historiens que la civilisation des Allemands de Roumanie est la seule dans l’Histoire qui a réussi à s’auto-détruire volontairement.

Restent en Roumanie les vestiges de leurs succès passés. Les écoles allemandes existent toujours et sont considérées parmi les meilleures du pays, bien que les élèves soient désormais presque tous des Roumains et les professeurs aussi. Klaus Iohannis, récemment réélu à la présidence du pays et ancien maire de Sibiu trois fois plébiscité est un Saxon et sa ville, où les Saxons ne représentent plus que 1%, est aujourd’hui administrée par son ancienne adjointe, Saxonne elle aussi.

En traversant les villes de Transylvanie on remarque la présence de maisons cossues qui racontent des Saxons qui ont fait fortune au fil des siècles. Mais ce qui frappe l’imaginaire, ce sont ces églises fortifiées que toutes les villes et la plupart des villages avaient construit pour se protéger des envahisseurs. Entourées d’une enceinte simple, double ou triple, elles servaient de refuge pour les hommes, les animaux et les provisions.

Heltau/Cisnadie
Heltau / Cisnadie

Il y en a même qui, comme celle de Stolzenburg/Slimnic, ont été construites en l’imminence d’un danger qui, une fois écarté, les a laissées en l’état de simple citadelle, puisque l’église, qui n’était pas urgente, n’a jamais été construite.

Jusqu’en 1867 dans une de ses tours il y avait la “chambre du divorce”. Comment fonctionnait-elle? Eh bien, le couple qui voulait se séparer se rendait ensemble chez le pasteur, qui acquiesçait, à condition que les époux se laissent enfermer dans la dite chambre pendant trois jours et trois nuits. Ils avaient à disposition un lit, une chaise, une assiette et un couvert. Il faut croire que c’était une technique gagnante puisqu’en 200 ans, obligés de collaborer, la plupart des conjoints a trouvé une entente et renoncé à l’idée de divorcer. Seuls trois couples ont décidé d’aller jusqu’au bout.

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Mărțișor

Un jour, une très belle jeune femme arriva sur la Terre; elle n’était autre que l’étoile qu’on nomme le Soleil, qui était descendu du ciel pour voir de près la planète qui profitait de sa lumière.

Le Soleil à travers les arbres

Sur son chemin elle rencontra des oiseaux qui chantaient, des enfants qui jouaient en riant, des gens heureux. Mais voilà qu’à l’improviste sa route fut barrée par un Zmeu.

Il faut savoir qu’un Zmeu est un personnage malfaisant, à l’apparence humaine mais à l’esprit diabolique, et qu’il possède des pouvoirs surnaturels.

Au vu de cette jeune beauté, le méchant décida qu’il devait l’avoir pour lui tout seul. Vite fait, il l’enleva, la ramena dans son palais et il l’y enferma.

Palais en ruine

Privés de Soleil, les oiseaux arrêtèrent de chanter, les enfants oublièrent de jouer et de rire et on ne vit plus dans les rues que des gent accablés, tristes et malheureux.

Seul un jeune homme réagit: il prit son épée et alla défier le Zmeu. Celui-ci accepta de se battre en duel, en ricanant, car il était sûr de ne faire qu’une bouchée du jeune irréfléchi.

A sa grande surprise le combat s’avéra meurtrier pour lui. Il s’écroula et mourut, mais il avait réussi à blesser mortellement le jeune homme qui eut à peine la force de libérer le Soleil avant de s’écrouler dans la neige.

Le Soleil remonta donc dans le ciel et répandit sa lumière sur la Terre. Les oiseaux recommencèrent à chanter, les enfants à jouer et à rire, les gens furent de nouveau heureux.

Une seule personne ne put se réjouir du dénouement de l’affaire: le jeune homme courageux s’effondra dans la neige et son sang, en coulant, laissa de longues traînées rouges.

Bientôt la neige fondit, et les hommes venus le chercher trouvèrent à sa place un champ de perce-neige immaculés sillonnés de sang.

Perce-neige

Puisqu’ils n’avaient pas réussi à le sauver, les hommes décidèrent alors de célébrer son souvenir en s’offrant des fleurs rouges et blanches au moment de la fonte des neiges.

Cette légende poétique est, parmi d’autres, à la base du Mărțișor, ce petit porte-bonheur pendu à une cordelette rouge et blanche que les Roumains et les Bulgares – tous deux issus des Daco-Thraces – offrent à leurs proches le 1er Mars pour fêter l’arrivée du printemps.

Les Bulgares, qui l’appellent Martinica, font remonter la coutume à l’époque de leur premier “hannat”, embryon d’État installé sur les rives du Danube au septième siècle de notre ère mais les archéologues estiment qu’il pourrait s’agir d’un usage beaucoup plus ancien, puisqu’ils ont trouvé dans des sépultures thraces vieilles de 8000 ans de petits objets – souvent des pièces de monnaie – tenus par des cordelettes qui rappellent les Mărțișor.

Le Mărțișor reçu était au début accroché à une branche de pommier, où il restait jusqu’à l’éclosion des fleurs. Plus tard on pris l’habitude de l’épingler sur les vêtements pendant tout le mois de Mars.

De nos jours, si internet et les e-mails ôtent beaucoup à la poésie liée à ce petit témoignage d’amitié et d’affection (car il est bien difficile d’épingler à sa veste l’annexe d’un courriel!), nombreux sont encore ceux (et, surtout, celles) qui arborent fièrement le Mărțișor au revers de leur veste ou qui l’accrochent en belle vue dans leur maison.

Ce petit porte-bonheur a encore de beaux jours devant lui.

Martisor, le porte-bonheur qui annonce l'arrivée du printemps
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La blouse roumaine

 

Paris, 1892. Dans l’atelier de Gustave Moreau un peintre roumain de 21 ans, Theodor Pallady, fait la connaissance d’un jeune collègue français de deux ans son aîné: Henri Matisse. C’est le début d’une grande et forte amitié qui les liera toute leur vie.

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Au coin du feu

 

Grand branle-bas de combat dans l’aile nord du château: après un fort ralenti dû à l’arrivée du Petit Prince chez Monsieur l’Héritier, il est temps maintenant que l’on se prépare à l’arrivée des premiers frimas.

Qu’y a-t-il de plus réconfortant d’un feu de cheminée lorsque le soleil se couche sur une soirée brumeuse, ou que le vent souffle en rassemblant des nuages bas et s’infiltre par les fentes des châssis qu’on aurait dû changer depuis longtemps mais qui, faute de moyens, d’artisans disponibles ou de temps, on se limite à calfeutrer tant bien que mal?

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Le roman de la rose

Dans cette soap-opéra avant la lettre qu’est la mythologie (Dallas, Amour, Gloire et Beauté?  des trucs d’amateur…) une place de choix est reservée à Vénus, déesse de la beauté et de l’amour (et pour cause!) et à son fils Cupidon. Parmi les diverses légendes qui la concernent, deux sont à retenir.

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Cuisines Faisons-le nous-mêmes Maison, jardin, animaux

Convenience food…

 

Il arrive à tout le monde de sortir tard du travail et de ne pas avoir envie de cuisiner. Le restaurant n’est pas toujours une option. Mais pas de mal! Il suffit de passer chez le traiteur et le problème est résolu. Nous voilà à la maison avec un bol de salade et des lasagnes pour deux (à moins d’avoir cédé à l’envie de sushi ou de couscous) et pour ce soir aussi le dîner est assuré.

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Cuisines Gens, pays, cultures

Kaldi, ses chèvres et le café

Les chèvres, on le sait, ont l’habitude de grimper aux arbres comme les écureuils, à cela près que les arbres des chèvres sont plus bas que ceux des écureuils, que les chèvres préfèrent quand-même se nourrir sur le plancher des vaches et qu’elles ne cèdent à leurs ambitions de hauteur que lorsque les vaches ont tout râtissé, ce qui est bien difficile. Ou alors, quand il n’y a pas de vache parce qu’il n’y a rien à manger sur leur plancher et qu’elles préfèrent de verts pâturages limousins ou toscans au désert de l’Arabie heureuse. Il en découle que les chèvres montent aux arbres plutôt dans les zones désertiques.

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George Enesco et sa muse

De la corde tendue au Guarneri del Gesù

 

A la fête du village, le petit George regarde fasciné les musiciens de rue: c’est la première fois qu’il entend jouer de la musique et il en est tout de suite emporté.

De retour à la maison il tend une corde sur une planche et essaie d’en tirer quelques notes. Sa passion perdurant, ses parents finissent par lui offrir un petit violon; mais c’est un jouet et George, deçu, pique une crise de rage et le casse.